- EMBRYOLOGIE ANIMALE
- EMBRYOLOGIE ANIMALEL’embryologie est la science qui se consacre à l’étude du développement de l’embryon, c’est-à-dire à la période de la vie comprise entre la fécondation de l’œuf et la naissance, ou l’éclosion. Décrire, mais aussi expliquer la formation de l’embryon, étudier les mécanismes et les causes du développement embryonnaire, tels sont les buts de l’embryologie. Cette science, considérablement développée au cours des dernières décennies et qui fait appel aux techniques les plus modernes, depuis la microscopie électronique jusqu’à la biochimie moléculaire en passant par la fabrication d’anticorps monoclonaux, n’en est pas moins une science très ancienne.1. Débuts spéculatifs de l’embryologieLes origines de l’embryologie remontent à l’Antiquité: de nombreux médecins et philosophes s’intéressèrent alors à l’évolution de l’embryon. Leurs moyens techniques étaient réduits, limités à l’observation d’œufs de divers animaux, surtout celui de la poule. Spéculations et hypothèses remplaçaient l’insuffisance des techniques. Les doctrines les plus variées et les plus erronées furent alors proposées pour tenter d’expliquer la formation des êtres.C’est à Aristote qu’on doit le premier traité d’embryologie connu, ainsi que la première classification des animaux en espèces ovipares, vivipares, et ovovivipares. Mais il échafaude des hypothèses fantaisistes, imprégnées de finalisme, qui seront néfastes au développement de la science jusqu’au Moyen Âge.Ce n’est qu’au milieu du XVIIe siècle qu’est franchie une étape importante dans l’histoire de l’embryologie: la publication, en 1651, d’un ouvrage de W. Harvey intitulé Exercitationes de generatione animalium établit la notion fondamentale que «tout ce qui vit vient initialement d’un œuf».En étudiant le développement du germe d’œuf de poule, Harvey constate que l’embryon se forme progressivement, partie après partie: ce processus est interprété par la théorie de l’épigenèse. Une autre théorie, celle de la préformation, supplante provisoirement la précédente, grâce à l’utilisation du microscope qui, en 1677, permet l’observation des spermatozoïdes. Cette découverte, s’ajoutant à celle des follicules dans l’ovaire de Mammifères faite par R. De Graaf, est interprétée à l’époque comme une preuve que l’être serait préformé, soit dans l’œuf, pour les ovistes, soit dans le spermatozoïde, pour les animalculistes. Parmi les ovistes se rangent Malpighi, Buffon, Malebranche et Bonnet. Les imaginations se donnent libre cours. C’est alors que Bonnet exprime sa fameuse hypothèse de l’«emboîtement des germes». L’ovaire d’Ève, mère de l’espèce humaine, aurait contenu les germes des êtres humains, emboîtés les uns dans les autres, d’autant plus petits qu’ils sont éloignés dans le temps de la première femme. Chaque embryon est un être en miniature, le développement n’est qu’un déplissement des formes. Pour les animalculistes, comme A. Leeuwenhoek, Hatsoekerq, Leibniz, Andry, Delenpatius, au contraire, l’œuf n’est qu’un terrain nutritif, c’est dans le spermatozoïde que l’être est préformé. Mais la découverte, par Bonnet, de la parthénogenèse chez le puceron vient renforcer considérablement la théorie des ovistes. Les spermatozoïdes sont complètement discrédités et on ne les considère plus que comme des parasites. Il faut attendre 1786 et les travaux de L. Spallanzani pour que le rôle des spermatozoïdes dans la fécondation soit vraiment établi. Spallanzani accouple des grenouilles dont les mâles sont revêtus de petites culottes de taffetas. Il constate que, dans ces conditions, les œufs n’évoluent pas. Mais, si on verse sur les œufs le liquide resté dans les petites culottes, le développement des œufs se produit. Cette expérience réhabilite définitivement les spermatozoïdes.Le XVIIIe siècle est marqué par la publication des travaux de É. Wolff sur le développement de l’embryon de poulet. Wolff démontre qu’il se fait selon le processus de l’épigenèse.Au XIXe siècle, les progrès techniques permettent à l’embryologie de progresser considérablement. Le mécanisme de la fécondation et les phases du développement de l’embryon sont petit à petit révélés. L’essor de l’histologie permet à la théorie cellulaire de s’édifier. R. von Hertwig montre, en 1875, que l’œuf et le spermatozoïde sont de véritables cellules dont les noyaux s’unissent au moment de la fécondation. Le mécanisme de la fécondation est parfaitement expliqué par l’important travail de E. Van Beneden sur l’ascaris. Van Beneden découvre que les chromosomes de l’œuf fécondé proviennent, en parties égales, du spermatozoïde et de l’ovule. Les travaux de nombreux chercheurs sur la parthénogenèse, l’hérédité, la détermination du sexe viennent compléter ces découvertes et contribuent à approfondir les connaissances sur le développement des êtres. C’est à K. E. von Baer qu’on doit la théorie des feuillets germinatifs selon laquelle les parties de l’embryon se forment par différenciation successive de «feuillets» primitifs. Cette théorie est reprise et développée en 1845 par Remak, qui montre l’existence de trois feuillets germinatifs (l’ectoderme, le mésoderme et l’endoderme), découverte capitale qui a permis à l’embryologie actuelle de s’édifier. Les feuillets évoluent toujours de la même manière: l’ectoderme donne naissance d’une part à l’épiderme et à ses annexes et d’autre part au système nerveux; le mésoderme et le mésenchyme produisent les tissus de type conjonctif, les éléments du squelette, les glandes génitales et les organes excréteurs; l’endoderme forme le tube digestif et ses annexes.Un peu plus tard, une autre théorie contribue largement à l’essor de l’embryologie, c’est la loi «biogénétique fondamentale» de Haeckel. Pour cet auteur, fortement influencé par les doctrines transformistes, le développement embryonnaire reproduit les étapes traversées au cours de l’évolution de l’espèce (phylogenèse). Avec l’amélioration des moyens techniques, les observations et descriptions d’embryons se multiplient. À côté des animaux de laboratoire classiques (poulet, lapin, triton), d’autres espèces sont examinées. C’est ainsi que Goette (1875) décrit le développement de l’œuf du crapaud, Henneguy (1888) celui de la truite, His (1880 à 1885) l’anatomie de l’embryon humain. De descriptive, l’embryologie devient une science comparative, puis très vite, avec les travaux de Roux sur l’œuf de grenouille et de Chabry sur les œufs d’ascidie, une science expérimentale cherchant à comprendre les processus du développement. Ce dernier aspect de l’embryologie évolue rapidement et permet à cette science de devenir une discipline essentielle de la biologie moderne.De nos jours, que reste-t-il de la querelle entre les deux grandes théories qui ont marqué l’histoire de l’embryologie: préformation et épigenèse? Dans la plupart des cas, l’œuf en voie de développement passe par une phase d’indétermination, suivie d’une phase de détermination. D’abord indéterminé, il acquiert progressivement sa détermination. Comme le souligne E. Wolff dans Les Problèmes de l’embryologie expérimentale (1959), c’est là, dans ce passage de la non-détermination à la détermination, de l’homogène à l’hétérogène, que se situe le problème fondamental de l’embryologie. La suite du développement peut s’expliquer par une série de réactions en chaîne, les organes se différenciant les uns les autres sous l’action d’inducteurs. «La première ébauche déterminée entraîne la détermination progressive de toutes les autres, par une chaîne d’inductions tissulaires, où chaque terme joue tour à tour le rôle d’induit et d’inducteur.»Mais comment expliquer les premières déterminations, la transformation d’un système homogène en un système hétérogène? «La grande énigme de l’épigenèse se pose toujours derrière les problèmes en apparence résolus: l’œuf est riche de tout l’avenir de l’organisme, il contient tout en puissance, même la destinée de l’espèce; mais rien en lui n’est encore précisé ni spatialisé.» Et E. Wolff conclut qu’entre ce problème clé et les problèmes spéciaux du développement s’ouvre le vaste champ de l’embryologie expérimentale.2. Méthodes de l’embryologie descriptiveL’embryologie est, en premier lieu, une science descriptive, une science d’observation. L’observation ne s’est pas limitée à une seule espèce. C’est la comparaison entre les développements d’embryons de plusieurs espèces différentes: Oiseaux, Amphibiens, Reptiles, Mammifères, qui a permis aux grandes lois de l’embryologie de s’édifier.Matériel biologique usuelL’œuf de poule reste un matériel privilégié. La technique d’ouverture des œufs mise au point par E. Wolff permet de suivre aisément l’évolution de l’embryon. Sur des œufs de quelques heures d’incubation, on pratique une petite ouverture du côté du bout le plus effilé. On aspire un peu d’albumine à l’aide d’une fine pipette de verre. On referme l’ouverture avec de la paraffine tiède. Sur la face supérieure de l’œuf, là où se trouve l’embryon, on enlève avec précaution un fragment de la coquille. On édifie un mur de paraffine au bord de l’orifice ainsi formé. Il suffit de poser une lamelle de mica pour refermer cette fenêtre. Mais le ruban adhésif de type scotch a bientôt remplacé la paraffine, et permis de refermer beaucoup plus rapidement et tout aussi efficacement l’orifice. Cette méthode permet non seulement de suivre le développement de l’embryon, mais encore de réaliser de nombreuses interventions chirurgicales.L’amphibien est également un matériel de choix en embryologie, car on peut suivre le développement in vivo à l’aide de la loupe binoculaire. L’élevage en laboratoire des xénopes, pleurodèles, tritons est facile à réaliser. De plus, on peut provoquer la ponte de ces animaux, en leur injectant des hormones hypophysaires.Les œufs de Mammifères, tout en étant moins accessibles et plus fragiles que les œufs de poule et d’Amphibiens, sont aussi très utilisés par les embryologistes, comme on le verra plus loin à propos de l’embryon de souris.Techniques microscopiquesL’emploi du microscope à contraste de phase permet d’examiner les œufs suffisamment transparents. Pour les études plus minutieuses, on a recours à la fixation des embryons et à leur examen histologique. Les fixateurs diffèrent selon le matériel; ils sont, en général, à base de formol, ou d’alcool, ou d’acide picrique ou acétique. Les mélanges fixateurs les plus utilisés sont le liquide de Bouin (composé d’acide picrique, de formol et d’acide acétique), le mélange de Zenker (composé de bichlorure de mercure, de bichromate de potassium, de sulfate de sodium et d’acide acétique), le mélange de Carnoy à base de chloroforme et d’alcool absolu. Ces fixateurs permettent de conserver les tissus aussi parfaitement que possible, c’est-à-dire de respecter le mieux possible leur aspect morphologique. On traite ensuite à la paraffine le tissu fixé, avant de procéder à la coupe au microtome. En effet, la paraffine tiède imprègne les tissus et, en refroidissant, rend possible leur durcissement. Les tissus durcis inclus dans des petits blocs de paraffine se débitent très facilement en coupes fines. On étale ensuite les coupes sur des lames de verre et on effectue la coloration. En utilisant des produits ayant des affinités spécifiques pour certains éléments cellulaires, on peut colorer ces éléments et découvrir l’aspect morphologique du tissu étudié.L’histochimie décèle et localise les constituants chimiques des cellules. On fait agir sur les lames des réactifs spécifiques qui forment avec des constituants chimiques précis des réactions colorées. On suit ainsi l’apparition de ces constituants au cours du développement embryonnaire.La cinématographie , combinée à la microscopie, met remarquablement en relief les mouvements morphogénétiques, les remaniements cellulaires, le dynamisme de l’œuf en voie de développement.Avec le microscope électronique , on étudie l’ultrastructure des tissus embryonnaires et leur différenciation.MarquageUne technique, devenue classique en embryologie et qui reste précieuse, est celle des marques colorées. Mise au point en 1925 par K. Vogt, elle permet de déterminer la destinée d’un groupe de cellules. En particulier, on a pu, grâce à elle, dresser le plan des ébauches dans la blastula des Amphibiens. On dilue un colorant vital, bleu de Nil ou rouge neutre, dans une solution chaude d’agar. On verse cette solution colorée sur une lame de verre, en couche mince. Après séchage, on obtient un film d’agar que l’on découpe en petits fragments qui servent de marques colorées. L’œuf à marquer est mis dans une coupelle remplie d’eau et dont le fond est recouvert de paraffine; dans celle-ci, une logette est pratiquée et l’œuf y est déposé. On place la marque colorée sur la région à étudier. Le colorant diffuse et colore le groupe cellulaire choisi. Les éléments cellulaires marqués continuent leur évolution tout en conservant leur coloration. En faisant varier les emplacements des marques colorées ou en procédant à des marquages multiples, on détermine la destinée de chaque région de l’œuf. Cette technique s’applique non seulement aux Amphibiens, mais aussi à de nombreux animaux: oiseaux, tortues, poissons, échinodermes, ascidies.3. Progrès techniques en embryologie expérimentaleMicrochirurgie et greffesL’embryologiste est devenu un expérimentateur qui ne se contente plus d’observer l’évolution normale de l’embryon, mais qui intervient pour la modifier et l’expliquer. L’embryologie expérimentale nécessite des techniques particulières. La plus classique est la microchirurgie , dont les opérations se font dans des conditions aseptiques, avec des instruments stériles: scalpels, pinces fines d’horloger, ciseaux de Pascheff; pour les opérations très minutieuses, on fabrique des aiguilles de verre ou de platine. Sur des embryons très accessibles, comme l’embryon de poulet ou de batracien, il est relativement facile de réaliser l’ablation de certains territoires et de suivre l’évolution de l’embryon opéré. On peut aussi greffer une certaine ébauche isolée d’un embryon à un autre embryon intact ou ayant subi l’ablation de la région greffée. Chez l’embryon de poulet, on utilise fréquemment la technique des greffes chorioallantoïdiennes . L’ébauche choisie est isolée puis déposée sur la membrane chorioallantoïdienne d’un autre embryon de poulet de huit jours d’incubation environ. Dans cette région, très vascularisée, le greffon poursuit son développement.Chez le batracien, on a souvent recours à la technique des parabioses . Deux embryons sont associés, flanc à flanc, ou tête à tête, par exemple. Les deux individus associés survivent; on suit la destinée de chacun d’eux; il est possible en particulier d’étudier leurs interactions physiologiques. Sont réalisables également des parabioses chez l’embryon de poulet.Par ces interventions variées, l’expérimentateur parvient à connaître les propriétés de chaque ébauche, les processus du développement embryonnaire. Ces expériences ont, en particulier, révélé un phénomène important: la régulation. En effet, si on associe deux jeunes germes, ils fusionnent et ne forment qu’un seul individu normal; si, au contraire, on fragmente un jeune germe en plusieurs parties, chaque fragment donne naissance à un individu complet. Le jeune embryon est capable de réguler le matériel en excès comme le matériel manquant.Les destructions de territoires déterminés se font également par d’autres procédés: chaleur, substances chimiques (c’est le domaine de la chimiotératogenèse, particulièrement développée par Ancel), irradiations aux rayons ultraviolets et surtout aux rayons X. Ce dernier procédé est très utilisé chez l’embryon de poulet depuis la mise au point, en 1936, par E. Wolff, d’un appareil d’irradiation, composé d’une source de rayons X (un tube de Coolidge) et d’un cylindre de plomb percé d’une lumière calibrée ne laissant passer qu’un fin faisceau de rayonnement. On irradie ainsi localement certains territoires de l’embryon, sans léser les territoires voisins.Au cours de l’embryogenèse, des déplacements de cellules se produisent: certaines cellules effectuent une migration importante pour aller se fixer dans des sites parfois très éloignés de l’endroit où elles sont apparues. Pour étudier ce phénomène chez l’embryon in vivo, N. Le Douarin a mis au point une technique très astucieuse de marquage cellulaire, dite «caille-poulet». Il est très facile de reconnaître les cellules de caille de celles du poulet, car, chez la caille, le nucléole est associé à une masse importante d’hétérochromatine; par contre, chez le poulet, l’hétérochromatine est de petite taille et dispersée. On peut donc identifier chaque type de cellule après coloration de l’ADN de son noyau par la réaction de Feulgen. La greffe de tissus de caille à un embryon de poulet, ou l’inverse, conduit à la réalisation d’embryon chimère caille-poulet, dans lequel il est possible d’identifier les cellules des deux espèces. Très utilisée depuis sa mise au point, cette technique permet l’étude de nombreux problèmes liés à la différenciation.CulturesPour suivre l’évolution d’une ébauche embryonnaire isolée de l’organisme et de toute influence étrangère, une méthode essentielle s’est imposée: la culture in vitro. Le précurseur de cette technique, Jolly, en 1903, réussit à maintenir en vie, hors de l’organisme, des globules de sang de triton, et ce, pendant plusieurs mois. Par la suite, l’explantation in vitro s’est beaucoup répandue. Elle s’est appliquée aux Amphibiens, avec les travaux de Holtfreter, Wilde, et aux Oiseaux et Mammifères, avec les travaux de Fell, Gaillard, Waddington, et surtout Wolff. C’est à ce dernier auteur que l’on doit la mise au point d’un milieu favorisant la culture organotypique d’explants d’embryon de poulet. Le milieu solide est composé d’une solution d’agar-agar refroidie, de liquide de Tyrode, d’extraits d’embryons de poulet de sept à huit jours d’incubation. Les récipients sont des verres de montre du type dit «salière», à fond plat, fermés par une lame de verre. L’organe à explanter est prélevé de façon stérile et déposé sur le milieu. Sa face inférieure se trouve en contact avec le milieu nutritif, sa face supérieure en contact avec l’air. On ferme la salière en lutant le couvercle avec de la paraffine tiède, et on la place dans un incubateur à 38 0C. Dans ces conditions de culture, l’organe embryonnaire poursuit son évolution tout en conservant son intégrité.Cette méthode permet de résoudre de nombreux problèmes. On peut suivre la différenciation de nombreux organes embryonnaires (tibias, peau, rein, syrinx, glandes génitales); associer plusieurs organes et observer leur réaction mutuelle; faire agir sur les organes explantés des substances variées, telles des hormones, des substances toxiques ou tératogènes, des vitamines; déterminer les besoins nutritifs des organes embryonnaires cultivés, en substituant au milieu décrit ci-dessus un milieu synthétique. En effet, les milieux à base d’extraits embryonnaires sont des milieux complexes. Pour résoudre des problèmes liés à la nutrition des organes, on doit utiliser des milieux simples de composition chimique connue. Il est alors possible d’ajouter ou d’enlever certains éléments et d’observer l’effet d’un tel traitement sur l’évolution de l’organe cultivé.Des milieux synthétiques de composition définie bien adaptée à l’espèce choisie sont maintenant fabriqués de façon industrielle par de nombreux fournisseurs spécialisés. Vendus à l’état lyophilisé, il est très facile de les reconstituer; ils permettent en particulier la culture organotypique, non plus sur un milieu solide, mais sur un milieu liquide: l’organe est alors posé sur une membrane de type «millipore» ou «nucléopore», aux pores de dimension connue, reposant elle-même sur une grille. Cette technique, très utile pour la culture organotypique de nombreuses ébauches d’embryons de poulet ou de souris, nécessite une atmosphère gazeuse. On peut associer plusieurs organes et observer leurs réactions mutuelles. On peut aussi faire agir sur les organes explantés des substances variées: hormones, substances toxiques ou tératogènes, cancérigènes, vitamines, facteurs de croissance.Techniques biochimiquesAujourd’hui, de plus en plus, les problèmes embryonnaires débouchent sur la biochimie. L’induction, phénomène qui régit la différenciation morphologique embryonnaire, s’exerce par l’intermédiaire de substances chimiques. La différenciation morphologique est précédée d’une différenciation chimique, conditionnée par l’apparition de molécules, essentiellement de protéines. Pour suivre la synthèse de ces constituants fondamentaux, on fait appel aux techniques les plus fines, les plus précises de la biochimie, adaptées à des quantités infinitésimales de matériel: spectrophotométrie, chromatographie, électrophorèse. Les radio-isotopes permettent d’étudier le métabolisme des tissus embryonnaires. Les rayonnements émis par les corps radioactifs peuvent être détectés facilement. Si on marque par des éléments radioactifs un composé donné, introduit par exemple dans le milieu de culture d’un organe embryonnaire, on peut, en mesurant la radioactivité des tissus embryonnaires après un certain temps de culture, suivre la destinée du composé étudié. On peut également, grâce à cette méthode, comparer le métabolisme de certains composés, dans des organes normaux et dans des organes traités, par exemple par les rayons X.On insistera tout particulièrement sur l’importance acquise par: l’immunochimie. Les techniques immunochimiques, extrêmement sensibles et spécifiques, permettent de déceler l’apparition d’un constituant donné au cours du développement embryonnaire. Elles sont fondées sur les réactions immunologiques et utilisent les antisérums. On prépare un antisérum en injectant à un lapin des extraits d’un organe adulte, foie par exemple. Des anticorps apparaissent dans le sang du lapin. Cet antisérum, mis en présence d’extraits de foie embryonnaire, réagit avec eux s’il y a dans le foie embryonnaire des constituants semblables à ceux du foie adulte. En associant cette technique à l’électrophorèse, Grabar, en 1953, a mis au point une technique importante: l’analyse immuno-électrophorétique, qui permet de définir une substance par sa mobilité électrophorétique et sa spécificité immunochimique. La solution à analyser, placée dans un gel transparent – de gélose par exemple –, est soumise à un champ électrique. Lorsque la séparation électrophorétique est suffisante, on fait agir un antisérum contenant des anticorps spécifiques des constituants à analyser. Les antigènes présents réagissent avec les anticorps et forment des arcs de précipitation. Par des colorations spécifiques ou par des réactions enzymologiques, on traite ces arcs et on précise la nature des constituants antigéniques révélés. En utilisant des extraits d’organes embryonnaires de différents âges, il est devenu possible de suivre la synthèse d’un constituant donné au cours de la vie embryonnaire.Cette technologie s’est ultérieurement perfectionnée par miniaturisation.Manipulations cytologiques: l’œuf de sourisDe plus en plus se développe l’étude de l’embryologie de la souris, qui, grâce à l’existence de nombreuses mutations, constitue un outil génétique essentiel. En effet, les différentes souches mutantes permettent des études comparatives entre le développement normal et l’embryogenèse aberrante, et, ainsi, l’élucidation des mécanismes morphogénétiques intervenant au cours du développement. Ainsi, une mutation, en bloquant le développement d’un organe à un certain stade, peut-elle faciliter l’étude de la différenciation de cette ébauche.Par ailleurs, les travaux sur l’œuf de souris connaissent un essor considérable, aussi bien dans la première période de l’embryogenèse de ce mammifère, qui va de la fécondation de l’ovule à l’implantation de l’embryon dans l’utérus, que dans la seconde période, qui commence avec l’implantation et s’achève à la naissance du fœtus. Les progrès techniques ont rendu possibles les interventions des chercheurs au cours de ces deux périodes.Au cours de la première période, on peut prélever les œufs, les cultiver in vitro, pratiquer certaines interventions, sans empêcher pour autant la poursuite du développement, à condition d’introduire l’œuf parvenu au stade blastocyste dans l’utérus d’une mère adoptive. Les premiers expérimentateurs qui cultivèrent in vitro des œufs de mammifères ont été Schenk (1880) et Onanoff (1893), travaillant sur des œufs de lapin et de porc, puis, plus tard, Brachet (1912). Mais il a fallu attendre plus de cinquante ans pour que se répandent les recherches sur les œufs de souris, avec les travaux de Whitten en 1956.Les œufs sont recueillis par perfusion de l’oviducte, et cultivés dans des gouttelettes de milieu déposées sur un récipient et recouvertes d’huile de paraffine. Le milieu mis au point par Brinster (1963) est commercialisé.Dans ces conditions de culture in vitro, l’œuf poursuit son évolution, et atteint en cinq jours le stade du blastocyste, stade où il doit s’implanter. On peut alors le prélever dans une micropipette de verre et l’introduire dans l’utérus d’une femelle «pseudo-gestante», ou mère adoptive, préparée à cet effet. Cette femelle a été soit injectée par des hormones permettant la gestation, soit accouplée à un mâle vasectomisé. Cet accouplement déclenche les phénomènes hormonaux permettant une gestation «normale», et on obtient ainsi la naissance de souriceaux issus des œufs cultivés. Cette technique a permis l’essor de nombreuses recherches sur la souris, et tout particulièrement la réalisation de souris tétraparentales ou souris chimères. Le pionnier de ces recherches est Tarkowski, suivi de Mintz (1962). Ces auteurs ont réussi la fusion de deux œufs cultivés in vitro. À partir de ces deux œufs se développe un seul blastocyste, qui contient donc une mosaïque de cellules dérivées de chacun des deux œufs. Le blastocyste chimère, ayant donc quatre parents, est introduit dans l’utérus d’une souris pseudo-gestante où la gestation se poursuit. Si on a fusionné un œuf d’une souche de souris albinos à un œuf d’une souche pigmentée, on obtient un souriceau portant des taches de poils noirs à côté de poils blancs. Cette très jolie technique permet d’étendre le champ d’investigation de l’embryologie expérimentale: on peut ainsi, en se servant de deux types de population différents, marquer l’origine et le devenir des tissus, voir comment ces deux populations cellulaires génétiques différentes collaborent pour former un individu adulte, et aussi analyser la genèse de malformations d’origine génétique.Une autre technique, mise au point par Gardner (1968) et beaucoup utilisée depuis dans plusieurs laboratoires, est celle des chimères constituées par injection de cellules étrangères à l’intérieur du blastocyste. Le blastocyste est ensuite implanté dans l’utérus d’une souris pseudo-gestante, où il poursuit son développement. On peut introduire dans la cavité du blastocyste des cellules normales ou des cellules de tératocarcinome et suivre leur devenir au cours du développement.Quant à la seconde période du développement d’un mammifère, allant de l’implantation à la naissance, elle est également accessible à l’expérimentation chez certaines espèces, grâce à la microchirurgie. Expérimentée par Jost en 1947 sur le lapin, la microchirurgie in utero s’est développée chez la souris. On peut pratiquer différentes opérations comme l’ablation d’un œil ou d’un membre, la greffe d’organes dans le cœlome ou le tissu sous-cutané, tout en maintenant le fœtus opéré in utero . La mère, anesthésiée, est ensuite recousue et la gestation peut se poursuivre normalement.La transplantation de noyaux, entreprise tout d’abord par Briggs et King (1952) sur la grenouille, peut également, grâce aux travaux de Modlinski (1978), puis de Illmensee et Hoppe (1981), être réalisée chez la souris. Les travaux de Briggs et King avaient montré que des noyaux de blastula sont encore capables, lorsqu’ils sont introduits dans un œuf, de provoquer un développement de larves normales. Ces travaux ont été repris dans le monde entier, et il est bien établi que, chez les Amphibiens, de nombreux noyaux du jeune embryon sont totipotents. Puis cette totipotence (capacité totale de différenciation) se restreint au fur et à mesure du développement, et, lorsqu’on prend des noyaux sur des embryons âgés, l’évolution ne se fait plus. Il n’a pas été possible, jusqu’à présent, d’obtenir une grenouille adulte dérivant de la transplantation dans l’œuf d’un noyau prélevé sur une cellule adulte, différenciée. Chez la souris, Illmensee et Hoppe (1981) ont obtenu la naissance de souriceaux issus de la transplantation de noyaux prélevés sur des cellules du massif embryonnaire de blastocyste, à l’intérieur d’un œuf fertilisé auquel on enlève son propre noyau. L’œuf opéré est cultivé in vitro jusqu’au stade blastocyste, puis implanté dans l’utérus d’une femelle pseudo-gestante, où il poursuit son développement. Ces travaux montrent que, chez la souris, les noyaux des cellules du massif embryonnaire au stade blastocyste n’ont pas encore subi de restriction de leur capacité de différenciation, mais sont toujours équivalents, en ce qui concerne la totipotence au noyau du zygote.Hybridomes et anticorps monoclonauxLa technique des hybridomes et des anticorps monoclonaux, se révèle très précieuse pour définir les marqueurs de la différenciation. Dès 1960, G. Barski, Sorieul et Cornefert avaient observé la fusion in vitro, de cellules tumorales cultivées ensemble. B. Ephrussi démontre que ces cellules hybrides se multiplient et produisent des lignées où persistent les patrimoines chromosomiques des deux parents. L’obtention d’hybrides interspécifiques est également possible.Dans les hybridomes, on fusionne in vitro un lymphocyte producteur d’un anticorps dirigé contre un antigène donné, avec une cellule tumorale de myélone (tumeur lymphocytaire). Les cellules hybrides ou hybridomes issues de cette fusion sont capables de proliférer comme un myélome et de synthétiser l’anticorps dit «monoclonal» dirigé contre l’antigène choisi. Cette technique a de nombreuses perspectives d’applications et elle est très utilisée dans les laboratoires du monde entier consacrés à l’étude de l’embryologie et de la biologie du développement, pour expliquer, en particulier, le fonctionnement des gènes au cours de la différenciation cellulaire.En abordant l’étude biochimique et moléculaire des problèmes posés par la morphogenèse et la différenciation cellulaire, l’embryologie entre dans une nouvelle phase de son histoire et se place à l’avant-garde des disciplines modernes.
Encyclopédie Universelle. 2012.